Jour 7

Emmanuelle, elle remplace mes mots. Un bonheur soudain, de ne pas être intervenu. J'aurais rien eu à ajouter, rien de neuf. Si ce n'est peut être un regard émerveillé en plus. Devant la complexité de Matthew. Je m'allume finalement ma clope, parce que c'est un pour ça que je suis venu. Du coup, j'suis grillé. Je me pose sur l'herbe avec eux, dans un p'tit sourire niais. Je me suis fais discret, je voulais pas déranger ! Je tire une taffe et croise le regard d'Emmanuelle. C'est vrai, ça.... Qu'est ce que tu réaliserais bb ? Mes yeux dévorent la jolie blonde après ma question, avec cette lueur si particulière. Un truc machin bidule, quelque chose que j'ai fini par définir. Un mélange de pleins de sentiments différents, l'exagération, la décadence: cette jeunesse éternelle, l'amour sincère.

Parce qu'on est jeunes. Parce qu'on rêve sans cesse d'un monde qui n'existera pas. Parce qu'on idéalise nos idylles et qu'on effile le temps, l'amour au bord des lèvres. Parce qu'on y croit encore. Parce que dans nos âmes, les flammes des astres nous échauffent. Parce qu'on bouillonne, parce qu'on a le corps qui ne demande qu'à vivre. Parce qu'on n'est pas lucides. Parce qu'on aime. Moi, je pourrai rester là pendant des heures. Je me sens vivante. Et il n'y a rien de plus beau, de plus personnel et de plus animant que de ressentir ce sentiment.

Je cherchai une réponse. Avec prudence, avec soin. Je ne voulais pas me tromper. Et, coïncidence du destin. Elle est là, ma réponse. Sous mes yeux. C'est ce garçon, aussi inoffensif qu'impulsif. Ce garçon, au sourire trop craquant et au regard envoûtant. J'me perds dans le plus profond d'ses yeux, lâchant progressivement la main de Matthew avec une tendre délicatesse. Je me relève légèrement, ouvrant doucement les jambes de Théo pour venir m'asseoir contre lui, prenant ses bras pour les enrouler sous ma poitrine, les miens par-dessus. « Mes rêves. » je chuchote. Je les connais, mes rêves. Mais je ne suis peut-être pas encore certaine de pouvoir les avouer. « Je vous prendrais tous les deux, avec moi. On commencerait la journée, réveillés sur un son d'Alt J, sommeillants sur un lit de sable d'or. On irait vaincre les vagues, on se sentirait puissants, invincibles. J'ferrai de vous les rois d'mon monde. On s'prendrait des coups d'eau en pleine figure, on finirait par quitter la mer pour la terre. On s'avouerait nos plus grands péchés, on dessinerait chacun la plus belle maison sur le sable, et on irait cueillir des orchidées poussées sur notre île. On ne parlerait plus au passé, on apprécierait le bonheur de vivre une dernière fois. On ferait un feu, on danserait autour, avec l'odeur de la weed pour guider nos pas. Et on finirait cette putain de journée allongés sous un ciel étoilé. » Mon cœur bat vite. Si vite.  

Emmanuelle raconte, nous invite, nous immisce dans son esprit, sa vision du monde, la vision de son monde. Théo, elle et moi. Nous trois pour vivre l'éternité dans un condensé de vingt-quatre heures, une poussière, du sable et en même temps jusqu'à la fin de nos vies. Un mélange de tout et de rien que la jolie blonde veut partager avec nous. Je souris face à sa vision du monde et laisse sa main s'échapper pour qu'elle puisse se blottir contre son beau prince. Je prends un peu de recule sur la conversation, je n'en connaissais aucun des deux il y a encore quelques heures et tout a commencé dans ce jeu de séduction avec Théo. Je ne peux me défaire de mon sourire. Il est immuable, fixé, tatoué. Je suis heureux, bien et je ne remercierai jamais assez les étoiles pour cette belle soirée. Une de mes plus belles dans ce jeu, une des plus sincères aussi. Certainement celle ou je me suis le plus ouvert alors que je ne connaissais pas. Se jeter dans l'inconnu, avec des inconnus, et devenir liés par nos passés afin de fonder un futur commun. Car oui, si j'avais envie de fonder un futur, c'était en partie avec eux, parce que ce soir, plus rien ne serait pareil, et ils étaient désormais comme une partie de moi. Aussi bizarre que cela puisse paraître, ces deux inconnus, amoureux et fous, encore jeunes et incapables de réellement se dire qu'ils étaient profondément attachés l'un à l'autre, ils étaient venus dans ma vie comme par enchantement et plus jamais, plus jamais, je ne laisserai la magie redescendre. Parce que j'ai le sentiment qu'ils étaient devenus essentiels. Je me laisse fondre dans l'herbe, récupère une main qui trainait là, sans savoir de qui il s'agissait réellement, puis je m'endors à même le sol à leur côté, sans vouloir m'immiscer dans leur couple, mais parce que cette soirée était notre soirée, et que je voulais m'envoler une nouvelle fois dans les étoiles avec eux, toute la nuit, parce qu'ils étaient un peu mes comètes. Des comètes qui avaient frôlé ma planète pour la modifier à tout jamais.

J'ai posé la question, parce que je sais que je serai satisfait de la réponse. Emmanuelle abandonne la main de Matthew, et j'ai l'envie, un instant, de le rejoindre à mon tour. Il est pas le droit. Pas le droit d'être seul, il y a vraiment rien de pire. Et le loup solitaire, c'est pas lui. Pas le vrai. Mais j'veux pas bouger, j'ai Emma entre mes bras. Et là, elle peut plus fuir, et moi non plus d'ailleurs. Je lève les yeux ciel, bercé par sa vision du monde. C'est loin des préoccupations, une réalité alternative qui n'appartient qu'à nous. En cet instant, c'est l'endroit dans lequel j'ai le plus envie d'être. J'serais prêt à tout quitter pour. Avec eux, je pourrai qu'avancer, sereinement. J'enfouis finalement ma tête dans le cou d'Emmanuelle, envoûté par ses belles paroles. C'est un cocktail explosif. J'ai envie d'elle, terriblement. Elle m'a manqué.  Ma main se tend vers Matthew, pour qu'il puisse se joindre à nous. Et je viens affectueusement lui caresser les cheveux. Il a prit autant de place dans mon âme en un soir que certaines personnes en plusieurs années. Matthew, il colmate mes brèches, solidifie mes faiblesses, avec Emmanuelle. Sauf que lui, c'est plus inattendu. Je pourrais terminer ma soirée ici avec eux. On est si biens, si beaux.

J'ai l'coeur qui aime. Notre idylle, à nous, elle ressemble à ça. Un bédo qui tourne, un jardin, un ciel, des étoiles et des voix. Des confidences, beaucoup d'amour. Un truc à trois. Quelque chose d'unique, d'inédit. Qu'on ne vit qu'une fois dans sa vie. Y'a comme un goût d'éternité, une saveur sucrée qui nous fait planer. Avec eux, j'ai décollé, vers un univers inexploré. On le découvrira ensemble, à la lumière du jour. Parce que maintenant qu'on s'est trouvé, on n'se lâchera plus. Jamais. Promis et juré. Il s'endort, je souris. On se réveillera ensemble. Jusqu'à la fin. De façon physique ou psychologique. Je sais que nos cœurs sont à présent liés.

Je finis par me tourner, passant mes jambes au-dessus de celles de Théo pour m'asseoir face-à-lui, toute proche. Je reste sans rien dire, pendant quelques secondes, détaillant chaque parcelle de son visage avec les yeux qui brillent. C'est le regard de l'amour, celui qui ne trompe pas. Mes doigts se glissent derrière sa nuque, l'attirant à moi de quelques centimètres supplémentaires. J'me sens intouchable et j'ai pas envie de passer à côté de ce moment, qui ne se représentera peut-être plus jamais. « Je t'aime. » Je prononce dans un souffle, tandis que les syllabes prononcées s'envolent vers le ciel parsemé d'étoiles. Je ne bouge plus, je n'ose plus. J'ai peut-être déjà trop risqué.

Je m'étais assoupi, rêvassant confortablement dans le creux du cou d'Emma. Elle se retire, me regarde droit dans les yeux. Les étincelles, cette lueur. Ce soir, elle m'a décidé, j'arrête de rouler à contre sens. Je ne dévie pas mon regard, et je me rends compte que je le fais sans avoir besoin de courage. Avant, j'avais du mal à le maintenir, parce que je me sentais faible face à l'intensité que je voyais dans ses yeux.  « Je t'aime. » Elle prend encore l'avance, se montre plus habile. Je viens l'embrasser dans un mélange de douceur, de fougue. J'en sais rien, c'est trop d'émotions qui sont symbolisés dans un seul et même baiser. Moi aussi. Je souris bêtement en détaillant le visage d'Emmanuelle. Putain, j'pourrais vivre rien que de son sourire. C'est un nouveau départ. Ce moment où on change de calepin, pour écrire une toute nouvelle histoire. Peut être que c'est ça de grandir.